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Depuis l’époque romaine, il existe au Maroc deux grands types de poterie.
L’une masculine, colorée et vernissée, montée au tour dans les grands centres urbains, de large diffusion commerciale (Safi, Rabat, Marrakech ou Fès…) et ne cessant d’évoluer (décors, formes, matériaux ou techniques).
L’autre féminine, montée au colombin dans les zones rurales du Nord Maroc, massif du Rif et ses contreforts, dont l’évolution semble quasi nulle depuis le néolithique et dont la diffusion ne dépasse généralement pas le souk hebdomadaire local, fait l’objet de notre activité.
La technique primitive de la céramique qui apparaît 6000 ans av JC perdure ici et s’apparente aux poteries de l’âge du bronze du pourtour méditerranéen. « Nées en même temps, dit-on, agriculture et céramique marquent le début des âges néolithiques (…) les premières poteries accompagnent la phase de cueillette d’espèces végétales naturelles en cours de sélection, sans qu’il s’agisse encore d’une véritable culture »1
L’invention du tour mécanique en 2500 av JC n’a pas eu d’influence sur leur travail, un simple fond de poterie ou un morceau de planche sert de support à la terre évitant ainsi à la potière de devoir tourner autour d’elle pour la fabriquer. Imprégné par l’héritage des générations passées, le mode de vie de ses montagnardes est conditionné par les traditions et « c’est là pour l’archéologue, un conservatoire des techniques, des savoirs faire et des tours de main qui remontent aux siècles du Moyen Age, et au-delà, aux temps néolithiques » 1
Une poterie de facture exclusivement féminine.
Dans la mesure où cette production n’était pas destinée à la vente, les hommes se sont désintéressés de cette poterie laissant le soin aux femmes de confectionner des récipients adaptés aux besoins de la famille.
Avant notre arrivée, seule la tribu des Beni Saïd, travail parfait et bonne cuisson des pièces, vendait ses poteries au-delà du souk régional. Aujourd’hui encore, les potières fabriquent des objets utilitaires, adaptés au mode de vie rural, pour leur propre usage ou destinés à la vente de proximité (braseros, plats à pétrir). Les débouchés que nous avons trouvé à cette production permettent maintenant à certaines femmes de travailler régulièrement sur commande.
Traditionnellement, les potières ne fabriquent pas de « décors ». Les pièces sont utilisées en intérieur ou en extérieur et ont une fonction précise.
Leur forme y est donc adaptée. Certaines pièces gardent pourtant la mémoire des formes transmises par les Phéniciens et les Carthaginois.
Jarres à larges cols : Denrées solides (céréales, olives…) et parfois récupération des eaux de pluie.
Jarres à cols étroits : Liquides (eau, huile d’olive…).
Pièces de grande taille : Destinées aux réserves et stockées en remise.
Pièces plus petites : Destinées à un usage immédiat.
Les porteries portent la marque des tribus d’appartenance des femmes. Formes, décors ou absence de décor… chaque pièce est unique et témoigne de la dextérité de la potière mais répond à un besoin collectif.
L’enfumoir à abeilles permet de retirer les rayons de miel de la ruche que les potières fabriquent aussi.
Les barattes. Celles des M’Tioua, des Sless ou des Tsouls sont de forme oblongue. La femme assise par terre, pose la baratte au sol et la remue longuement. Celles des Beni Meraz, des Beni Ammar sont rondes, munies d’un bec verseur et de deux anses qui permettent à la pièce d’être suspendue et secouée plus aisément.
Les potières travaillent toujours à domicile et les douars comptent souvent plusieurs potières. Pourtant il est impossible de les rencontrer toutes lors d’une première approche du douar, chaque femme préférant écouler sa production qu’évoquer la concurrence…
Les hommes ne participent quasiment pas à de fabrication des pièces. De temps en temps ils collaborent, tel le mari de Aïcha qui dessinait à la perfection les motifs des pots de toutes tailles fabriqués par sa femme…
Les femmes doivent quelque soit le temps :
Aller chercher l’argile, l’extraction se faisant le plus souvent dans ou à proximité du douar. Battre la terre puis la tamiser. La malaxer à l’eau et la chamotte (cendre, débris de poteries), en faire une boule qui sera divisée ensuite en fonction de la pièce à fabriquer.
Monter la pièce au colombin (boudins de terre modelés), la lisser au galet le cas échéant. Plusieurs temps, entrecoupés de périodes de séchage à l’air libre, sont nécessaires pour assembler les différentes parties d’une pièce (la base, la panse, le col, les anses et les lèvres).
L’enduire ou pas d’un engobe. La décorer ou non.
La cuire. Une à trois fois selon les régions.
Deux types de fours sont utilisés. Pour les unes, l’équivalent d’un four à pain construit en terre par la potière du bord de mer, Beni Ouriaghel et Beni Saïd.
En regardant préparer le four, j’admire leur technique et l’économie de leur pratique… ici le gaspillage n’a pas sa place, le bois est rare et il leur a fallu au préalable le ramasser et le transporter sur le dos, ou plus rarement l’acheter.
Un large trou creusé dans le sol pour les Jbalas de l’intérieur.
Les pièces y seront installées sur des petits morceaux de bois ou des brindilles parfaitement disposées au fond de la fosse.
Elles sont ensuite empilées, en commençant par les plus grosses jusqu’à former un dôme recouvert par les plus petites. Selon les potières, elles sont alors recouvertes de tessons de poteries, de bidons métalliques afin d’assurer une relative étanchéité à ce four rudimentaire ou directement recouvertes de bouses de vache séchées qui sert en même temps de combustible.
Le feu est alors allumé et la cuisson dure une douzaine d’heures à une température ne dépassant jamais 900°.
Les Beni Saïd cuisent dans des fours semblables aux fours à pain. La cuisson des pièces est meilleure, les pièces plus solides.
On peut comprendre, que la relève ne soit pas toujours assurée, que l’absence de reconnaissance du travail et de déboucher sérieux à la production aient jusque là incité les jeunes à songer à un avenir meilleur. Mais bien acheter leur fabrication, c’est ce que nous faisons, les incite à continuer et pousse de jeunes femmes à apprendre le travail de la terre. Fin 2022 de jeunes femmes “s’y mettent” dans quasiment chaque tribu où nous nous rendons régulièrement.
De plus, la concurrence est rude… Alors que les grands plats à pétrir le pain sont encore recherchés pour leur stabilité, l’arrivée dans les souks d’une production indienne viendra les détrôner. Il en est de même des divers récipients, en plastique et en céramique, importés à bas prix d’Asie du Sud Est qui conduisent au déclin de cette tradition.
Même si ramener l’eau du puits, de la source dans un bidon en plastique est plus pratique que dans une cruche en terre… les grosses jarres servent encore parfois à récupérer ou stocker les réserves d’eau qui arrive maintenant dans presque toutes les maisons.
1 Poterie Berbère : Rahma El Haraïki, enseignante-chercheur à l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine.